Plaidoyer

Plaidoyer pour une mécanisation responsable, durable et vivable de l’agriculture française

Si la mécanisation de l’agriculture française a fait l’objet d’une vision et d’une stratégie globale au sortir de la seconde guerre mondiale, elle est aujourd’hui un impensé politique.

Sommaire

Nos constats

Et cette machine dans ma ferme… Un levier sous-exploité de compétitivité
Faire baisser ses coûts de production par la machine, c’est possible !
Les autres leviers de compétitivité en lien avec l’usage de la machine : la réduction de la facture de carburant

Transmission et installation : gare aux machines !
Le niveau d’équipement des exploitations agricoles en question
Rester transmissible, la machine en question

La transition agroécologique à l’ombre des machines
La machine, un outil au service de la transition agroécologique
Se partager une machine ou comment changer les pratiques par la coopération
Biodiversité, les autres impacts de la machine agricole

Des politiques publiques lancées à toutes machines mais vers quoi ?
Des dispositifs d’aide centré sur le renouvellement de la demande
Un secteur à décarboner
Les agricultrices et agriculteurs qui choisissent de mutualiser les matériels agricoles ne sont pas fiscalement encouragés

Penser le travail en machines
Concilier vie professionnelle et vie personnelle : le pouvoir du partage de machines
Femmes et machines : un duo à faire progresser

La machine porte (ou pas) conseil
Le constat d’un défaut de conseil indépendant sur la machine

Un pacte en faveur d’une mécanisation responsable, durable et vivable dans l’agriculture

1 – Définition
2 – Objectif

Nos propositions

1 – Poser dans la planification écologique, un objectif de mutualisation du parc de machines agricoles à hauteur de 30 % en 2050

2 – Renforcer les outils de pilotage des politiques publiques sur le volet agroéquipements

3 – Créer un dispositif fiscal qui incite les agricultrices et agriculteurs à mutualiser les investissements

4 – Développer le conseil indépendant et l’accompagnement stratégique pour faciliter et objectiver la prise de décision des agricultrices et agriculteurs en s’appuyant sur une méthode et une boîte à outils à construire

5 – Positionner le diagnostic mécanisation dans la phase d’installation des nouvelles et nouveaux agriculteurs

6 – Soutenir le reconditionnement de matériel agricole afin de donner une seconde vie aux équipements

7 – Mettre en œuvre une conversion énergétique adéquate du parc machines

La machine est un levier pour la/le :

+ Compétitivité et viabilité économique des projets d’entreprises agricoles,

+ Attractivité des métiers de l’agriculture

+ Transmission des exploitations agricoles,

+ Innovation au service de la transition agroécologique,

+ Adaptation et atténuation du changement climatique,

+ Réduction de la pénibilité du travail et amélioration des conditions de travail pour un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle

+ Développement du salariat dans les exploitations,

Les enjeux qui se jouent et se rejouent dans l’agriculture possèdent tous une composante machine. Le plaidoyer porté aujourd’hui par le réseau Cuma est donc d’en refaire un objet de politique publique, de réflexion stratégique, et d’accompagnement. Il s’adresse autant aux pouvoirs publics qu’aux acteurs agricoles. Nous proposons de débattre avec eux d’un pacte en faveur d’une mécanisation responsable, durable et vivable.

Chiffres mécanisation agricole responsable

NOS CONSTATS

Et cette machine dans ma ferme…
Un levier sous-exploité de compétitivité

Faire baisser ses coûts de production par la machine, c’est possible !

Les charges de mécanisation de la Ferme France pèsent particulièrement sur la compétitivité des exploitations. Elles représentent en moyenne 25 % des charges, et peuvent grimper jusqu’à 30 % selon les filières. Ce niveau de charge est à mettre
au regard du suréquipement des exploitations agricoles, avec 2/3 des machines agricoles qui sont superflues. Optimiser ses charges de mécanisation pour gagner en compétitivité est pourtant un défi que relèvent des exploitations agricoles.
Le Réseau Cuma a réalisé des diagnostics sur 85 exploitations en Pays de la Loire entre 2021 et 2022. L’étude précise que “le panel regroupe des exploitations aux stratégies de mécanisation variées allant de la délégation de travaux presque intégrale à une majeure partie de matériels en propriété”.

répartition mécanisation
Marge de progrès mécanisation

Une marge de progrès est observée pour 79 % des exploitations sondées, dont 40 % avec plus de 100 € par ha. Pour les 67 exploitations qui ont une marge de progrès, le gain possible est en
moyenne de 15 000 € par an par exploitation.
Cette marge de progrès est possible en changeant la stratégie d’équipements via de la mutualisation de machines, de la délégation, de l’entraide ou encore de la copropriété.

A titre d’exemple, à l’échelle nationale, pour 1 euro qu’un agriculteur met au pot commun d’une Cuma, il bénéficie de 8 € de valeur à neuf de matériel. Ainsi les 200 000 agricultrices et agriculteurs en Cuma qui ont pris 500 millions € de parts sociales bénéficient d’un parc machine d’une valeur à neuf de 4,36 milliards €.

Les autres leviers de compétitivité en lien avec l’usage de la machine
La réduction de la facture de carburant

Le Réseau Cuma réalise des diagnostics des performances et des consommations des
tracteurs dit “bancs d’essai moteur”. Sur les 4 092 diagnostics étudiés entre 2016 et 2020, les gains en carburants sont réels via des préconisations de réglage, d’utilisation et si nécessaire de réparation des moteurs.

Étude FNCuma de 2021 ayant abouti à l’action standardisée CEE AGRI SE 101 et portant sur plus de 4000 diagnostics et préconisation de réglage et d’utilisation dans le cadre des passages au banc d’essai de tracteur (essentiellement hors Cuma)
1000litres

En moyenne 1 000 litres de carburant par tracteur et par an pourraient être économisés, grâce à de meilleurs réglages et utilisation dans le cadre de passages au banc d’essai moteur.

Transmission et installation
Gare aux machines !

Le niveau d’équipement des exploitations agricoles en question

L’acquisition de matériels est le premier poste d’investissements corporels hors foncier des exploitations, impactant les charges de production. Cet élément est à mettre au regard d’une Ferme France très équipée, voire trop, si on en juge par l’étude datée de 2017 d’Arvalis, Agro d’oc et WeFarmUp sur 30 exploitations agricoles avec un parc de 383 machines. Le nombre d’outils de travail de sol et semis, par exemple, pourrait être abaissé à hauteur de 75 %. Cette baisse pourrait se faire via des pistes de rationalisation que ce soit via l’optimisation des dates d’intervention ou encore la mutualisation sous diverses formes d’agroéquipements.

Sur ce dernier point, nous constatons une mutualisation des agroéquipements qui reste limitée. Le rapport économique Axema 2023 estime à 7,25 milliard € les investissements en matériel agricole en France, par comparaison, l’investissement en Cuma sur cette même période atteint 522 millions €.

mutualisation machines moins de 10 %

> La mutualisation reste donc inférieure à 10 % du marché français, ce qui démontre la marge de progression possible rien qu’en considérant cette piste.

Rester transmissible :
la machine en question

Dans un rapport de la Cour des Comptes, dédié aux politiques de l’installation et rendu public en 2023, la machine est clairement identifiée comme un levier à actionner pour faciliter le renouvellement des générations. Le fait que les politiques publiques encourageant l’investissement “renchérit le montant des reprises et des installations et semble mal articulé avec les dispositifs destinés à pallier le coût croissant des équipements, comme les pratiques de mise en commun des équipements par les exploitants (Cuma, achats groupés, assolement en commun) ou de recours, quand cela est pertinent, à des entreprises de travaux agricoles (ETA). […] Cette situation conduit désormais certaines organisations professionnelles à solliciter des aides pour le démantèlement d’équipements qui auraient du mal à trouver preneurs en raison de leur coût et de leur inadéquation au projet à venir. Ces phénomènes soulignent la nécessité pour les exploitants d’évaluer les investissements à l’aune des gains attendus mais aussi au regard de la transmissibilité de la ferme ou des parts. Il appartient aux pouvoirs publics de cibler les aides en faveur d’équipements si possible mutualisés nécessaires à une agriculture durable”.

Un récent rapport sur la restructuration des fermes d’élevage piloté par Terre de Liens mentionne plusieurs exemples illustrant le rôle des Cuma pour “faciliter” la restructuration. Dans le cas d’une ferme porcine en Ille-et-Vilaine démantelée et transformée au profit de nouvelles installations, le rapport mentionne que “la présence d’une Cuma à proximité a également facilité leur installation et leur accès au matériel”. La Cuma sécurise les nouvelles et nouveaux installés.

L’importance de ce poste machines pour les nouveaux installés n’est aujourd’hui pas assez optimisé. L’optimisation de la mécanisation en fonction de son projet est à titre d’exemple absente des modules dans le parcours à l’installation.

La transition agroécologique
à l’ombre des machines

La machine, un outil au service de la transition agroécologique

La machine est un levier important pour assurer la transition agroécologique, tout en permettant aux exploitations agricoles de rester compétitives. Un fait partagé par les pouvoirs publics dans le cadre des derniers appels à projets de France 2030. Il y est ainsi réaffirmé que la “réduction et précision des applications de pesticides et d’engrais, désherbage mécanique, combinaison et suivi des tâches, aide à la décision des agriculteurs, réduction de la pénibilité et des risques des travaux au champ et à l’étable, gestion du bien-être des animaux sont autant de tâches qui seront facilitées par la mise à disposition sur le terrain de plateformes robotiques innovantes. Le déploiement de ces nouveaux agroéquipements, aux côtés d’autres leviers comme la sélection végétale, l’utilisation du biocontrôle ou encore les infrastructures agroécologiques (agroforesterie, haies…), doit permettre d’accélérer le développement de l’agroécologie à grande échelle”.

La thèse de la sociologue Véronique Lucas montre que les agriculteurs qui s’engagent dans des pratiques agroécologiques, pour avoir des systèmes de production plus économes et résilients, ont besoin de ré-organiser lesdits systèmes pour tendre vers des ensembles plus diversifiés.

Ces démarches engendrent de nouvelles tâches et amènent les agriculteurs à réintégrer de nouvelles activités dans les systèmes de production.
A titre d’exemple :
“des éleveurs en recherche d’autonomie pour l’alimentation du bétail, obligés d’intégrer de nouvelles cultures dans l’assolement pour fabriquer les rations alimentaires. Tout ceci génère un surcroît de main d’oeuvre et de nouveaux besoins d’équipement”.

Les agriculteurs se tournent vers la coopération entre pairs pour faire face à cette réorganisation et cette complexification.

Se partager une machine ou comment changer les pratiques par la coopération

Le partage de machines, notamment en Cuma, produit des effets mesurables sur le changement de pratiques. Une étude à paraître de l’Institut Agro démontre que les agricultrices et agriculteurs en
Cuma utilisent moins de produits phytosanitaires

Plusieurs facteurs expliquent cela :

  • le parc matériel du réseau Cuma est plus récent et mieux entretenu, et surtout nettement plus intensément utilisé que le parc matériel moyen des exploitations agricoles françaises,
  • la Cuma est un lieu d’échanges de pratiques et donc de développement d’alternatives. 34 % des Cuma ont une activité de désherbage mécanique ou alternatif . Entre 2019 à 2022, une hausse de 36 % a été constatée. En permettant d’expérimenter à plusieurs au-delà de l’accès à une mécanisation adaptée à de nouvelles pratiques ou cultures, et par une formation pair à pair, la Cuma est un espace de diffusion des pratiques agroécologiques : compostage, techniques sans labour,
    agriculture de précision, désherbage mécanique, légumineuses, valorisation des effluents d’élevage etc.

A titre d’exemple :
Madeg Le Guernic, Enseignant chercheur à Rennes Business School conclut, à l’occasion du Forum des Fédérations du Réseau Cuma en 2024, que ces deux facteurs sont la nature de l’investissement qui présente un “effet technologique” et l’utilisation avec un “effet sociotechnique” de l’échange entre pairs sur l’utilisation du matériel, entraînant entraide, transfert d’expérience, et adoption d’innovations écologiques. Il conclut que “les Cuma sont à la fois d’intérêt mutuel pour les agricultrices et agriculteurs et d’intérêt général pour le territoire”. La mécanisation collective génère dès lors d’autres plus values territoriales que le seul partage de machines entre agricultrices et agriculteurs.

Biodiversité, les autres impacts de la machine agricole

Il existe des modalités permettant de favoriser la biodiversité en milieu agricole, à surface parcellaire équivalente, et les agroéquipements jouent un rôle aussi sur ce volet. C’est par exemple le cas des cultures en bandes alternées (strip farming) qui permettent, en choisissant bien les cultures, de ne jamais laisser le sol totalement nu et d’avoir en permanence une couverture partielle du sol. Il est prouvé que cette méthode attire les auxiliaires et ralentit la propagation des maladies. Un choix judicieux des largeurs de bandes cultivées permet d’utiliser une grande majorité des équipements actuels.

Sous réserve d’un redimensionnement progressif des équipements, il serait également possible de conjuguer cultures en bandes alternées et agriculture à circulation contrôlée (controlled traffic farming) : les équipements circulent toujours au même endroit, ce qui réduit et surtout localise le tassement des sols. Ce dernier peut également être limité par l’utilisation d’agroéquipements moins lourds.

Des politiques publiques lancées à toutes machines mais vers quoi ?

Des dispositifs d’aide centré sur le renouvellement de la demande

Les politiques publiques en matière d’agroéquipements
ont été pensées et conçues pour alimenter la demande. Elle se matérialisent notamment par une panoplie d’aides aux investissements qui ne s’articulent pas forcément entre elles, et
répondent aux enjeux du moment :

Aides aux investissements…
> dans le cadre du conflit avec l’Ukraine ;
> dans le cadre du plan de Relance ;
> dans le cadre du plan France 2030 ;
> dans le cadre de la planification écologique ;
> on farm dans le cadre de la PAC.

Ce sont ces appels à projets qui tiennent lieu de feuille de route des politiques publiques sur le volet agroéquipements. Ce fonctionnement alimente le suréquipement des fermes. Comme
le mentionne une récente note de la Fondation Jean Jaurès sur la crise agricole : “[…] si le secteur aval de l’agriculture fait l’objet d’un débat public permanent, celui de l’agrofourniture est quasiment occulté. […]

Rien n’interdit d’imaginer à périmètre budgétaire égal de s’affranchir de ces stratégies de pures opportunités au bénéfice d’une économie plus saine, accompagnant une agriculture de groupe et des choix d’investissements rationnellement plus économes en charges d’exploitation. Les agroéquipements ne font plus l’objet d’un débat politique. L’association étroite des agroéquipementiers dans la construction des dispositifs les oriente vers les intérêts des industriels. Comme le mentionnent récemment les chercheurs Samuel Pinaud et Sylvain Brunier : “ la durée d’usage des machines est indexée stratégiquement, par les industriels, sur les capacités d’investissement des agriculteurs et des agricultrices, afin d’assurer un renouvellement constant de la demande”.

Les besoins des agricultrices et agriculteurs, tout comme la compétitivité de leurs exploitations agricoles, ne sont donc pas au centre de cette myriade de politiques publiques qui stimulent la
demande en soutenant l’industrie de la machine (63 % des agroéquipements sont fabriquées hors France) et dégradent notre balance commerciale.

Un secteur à décarboner

Avec 1,4 millions de moteurs thermiques, le parc des machines agricoles en France dépasse celui du parc français des transports routiers avec ses 600 000 poids lourds. Dans le cadre de la planification écologique, la décarbonation des machines agricoles est le 9e levier sur les 15 identifiés pour le secteur agricole avec deux
enjeux : l’adaptation et l’émission de Gaz à Effet de Serre (GES). Comme le mentionne une étude de Chambre d’agriculture France, datée de février 2024, “Le carburant utilisé par les machines agricoles représente plus de 50 % de l’énergie consommée en
agriculture”.

La recherche sur des énergies alternatives, ou encore la modification des usages et des pratiques, telles qu’une conduite plus économique, peuvent permettre de limiter cet impact carbone.

À titre d’exemple, à volume d’heures de travail équivalent, la mutualisation de tracteurs permet de réduire les émissions globales d’1/3, en prenant compte l’ensemble des émissions directes et indirectes, avec moins de tracteurs construits, et des tracteurs plus utilisés dans leurs durées de vie.

Les agricultrices et agriculteurs qui choisissent de mutualiser les matériels agricoles ne sont pas fiscalement encouragés

Les politiques fiscales ont de fait un caractère incitatif et encourageant l’investissement comme le mentionne le CGAAER dans son rapport sur les charges de mécanisation.
Il cite notamment “La possibilité de faire de l’amortissement dérogatoire si le bien est acheté « neuf », l’amortissement est plus rapide les premières années, l’idée étant de bénéficier d’une plus grosse exonération de la plus-value lors de la revente avant terme. Le principe est d’avoir une rotation rapide du matériel 2/3 ans maximum. Comptablement, il y a un amortissement linéaire en charge d’exploitation et une provision pour le complément d’amortissement dérogatoire en exceptionnel, les premières années du plan et ensuite une reprise de ces provisions sur les dernières années« .
Le CGAAER conclut “l’exonération de la plus-value joue un rôle amplificateur […]. Acheter du matériel dans un cadre fiscal favorable est une décision qui peut être très rapide. […]

Cette décision impacte directement le niveau d’amortissement, qui est le principal élément de la charge de mécanisation”.

Selon nos estimations, appuyées sur les chiffres de l’Agreste, plus de 1,3 Milliards d’euros de plus values de cessions de matériel sont ainsi exonérés chaque année d’imposition sociale et fiscale par les exploitations agricoles françaises. Cette exonération encourage l’achat individuel de machines, et de ce fait n’incite pas les agricultrices et agriculteurs à davantage mutualiser (pour rappel, moins de 10 % de machines agricoles sont
mutualisées en France).

Pour la FNCuma, le principal frein à la mutualisation réside aujourd’hui dans cette politique fiscale.

Penser le travail en machines

Levier face à la pénibilité du travail et pour repenser le travail

Face à la pénibilité du travail agricole, la machine constitue une réponse importante, comme le porte la FAO dans son travail sur la mécanisation agricole durable : “la mécanisation facilite et réduit la pénibilité du travail, compense le manque de personnel, améliore la productivité et le calendrier des opérations agricoles, permet une meilleure utilisation des ressources, facilite l’accès au marché et contribue à atténuer les aléas climatiques. La mécanisation durable prend en considération les aspects technologiques, économiques, sociaux, environnementaux et culturels en contribuant au développement durable du secteur agroalimentaire”.

La mécanisation conduit aussi à une réflexion sur le salariat. La mise en commun des machines via notamment les Cuma, peuvent donner lieu à une réflexion sur l’emploi en commun qui peut passer par une activité de groupement d’employeur. Dans certains territoires, le service dit “complet” se développe, couplant mécanisation et salariat au profit des groupes d’agricultrices et d’agriculteurs, et permettant de pallier au manque de main-d’œuvre.

Concilier vie professionnelle et vie personnelle : le pouvoir du partage de machines

En 2012, une étude prospective du Ministère de l’Agriculture indiquait qu’ ”en 2025, les agriculteurs comme les salariés agricoles exprimeront des attentes de plus en plus similaires à celles de l’ensemble de la population, notamment concernant l’articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale, ou encore à propos des conditions de travail. La mécanisation devrait avoir permis de dégager du temps (…).”

La mécanisation ne saurait toutefois se suffire à elle-même, c’est aujourd’hui la machine, ou plus exactement l’organisation collective autour des machines qui peut avoir un impact multiplié sur la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. En effet, la sociologue Véronique Lucas confirme que les arrangements de partage de travail permettent d’optimiser l’organisation sur la ferme”. Elle cite notamment l’exemple d’un investissement commun dans un séchoir. “ (…) la réflexion collective autour de ce projet, a révélé un intérêt commun pour partager un salarié travaillant sur leur ferme, afin de se dégager du temps libre”.

Femmes et machines : un duo à faire progresser

La machine reste encore aujourd’hui un terrain genré dans son approche et dans ses usages. Une publication sur le genre et la mécanisation, éditée en 2023, à l’initiative d’Abiosol et du réseau AMAP Ile de France, en donne un aperçu.
Pendant leurs formations et leurs stages, les femmes ont moins accès à des savoirs portant sur les techniques : conduite/entretien des tracteurs, utilisation des outils, soudure, travail du métal etc.
Une fois installées, cet écart de capital technique entre hommes et femmes se renforce d’autant plus quand les agricultrices sont associées avec des agriculteurs. Aussi, le stéréotype d’incompétence technique des femmes participe à leur autocensure sur la pratique des gestes mécaniques. Cela accentue la mise en retrait des
femmes sur certaines tâches techniques
”.

De la brouette au siège du tracteur, en passant par les tailles disponibles de bottes, le matériel et les outils agricoles sont très peu adaptés à la majorité des corps des femmes et à leur travail”, comme en témoignent ses diverses expériences quotidiennes. […] Les exemples sont sans fin et montrent bien que les outils agricoles sont pensés au masculin, et que les femmes sont effacées de ce monde […]. Avec mon nouveau tracteur, dès le début j’ai failli avoir un accident ! La manette pour reculer le siège se déclenche avec la position de mes jambes, plus courtes que celle d’un homme, ce qui fait qu’à tout moment le siège peut partir en arrière … et l’accident peut vite arriver ! J’ai dû mettre une cale derrière le siège pour ne plus que ça arrive […]”.

La machine porte (ou pas) conseil

Le constat d’un défaut de conseil indépendant sur la machine

Dans son rapport sur les charges de mécanisation, le CGAAER fait le constat aujourd’hui du déficit d’accompagnement des agricultrices et agriculteurs sur le volet machine : “les organisations encadrant le développement agricole se sont dessaisies progressivement des compétences consacrées au machinisme et ne délivrent plus de conseils en agroéquipement. Une exception notable, les Cuma qui disposent dans leur réseau des outils d’analyse, de diagnostics, de conseils et des compétences”.

La FNCuma, sur la base des chiffres du SEDIMA, et des chiffres clés du réseau Cuma 2023, estime qu’il y a 1 conseiller machinisme indépendant pour 25 vendeurs de matériels agricoles. L’absence de conseil indépendant contribue à alimenter l’absence de réflexion stratégique et économique dans les achats de machines agricoles, mais également dans l’accompagnement post investissement.

UN PACTE EN FAVEUR D’UNE MÉCANISATION RESPONSABLE, DURABLE ET VIVABLE DANS L’AGRICULTURE

Un pacte en faveur d’une mécanisation responsable, durable et vivable dans l’agriculture

A la lumière des constats précédents, nous entendons mettre dans le débat public le sujet d’une mécanisation responsable, durable et vivable dans l’agriculture.

Notre définition

MÉCANISATION RESPONSABLE

MÉCANISATION DURABLE

MÉCANISATION VIVABLE

Ce pacte aurait deux objectifs

> constituer un premier lieu de dialogue entre l’ensemble des
acteurs afin de retracer une feuille de route commune sur le volet agroéquipements ;

> formuler des propositions dans un objectif programmatique sur le volet mécanisation de l’agriculture française.

Nos propositions

Sur la base des constats précédents, et pour nourrir le pacte proposé, le Réseau Cuma formule plusieurs propositions, pour soutenir une mécanisation plus responsable, durable et vivable, qui pourront utilement alimenter le débat public.

1 – Poser dans la planification écologique, un objectif de mutualisation du parc de machines agricoles à hauteur de 30 % en 2050

Nos constats précédents démontrent que le partage de machines a de réels impacts positifs en matière de décarbonation, d’accélération de la transition agroécologique, tout en soutenant la compétitivité des exploitations agricoles. A l’instar de mesures en faveur du co-voiturage prises par le Gouvernement, et au regard de la faible mutualisation du parc de machines agricoles aujourd’hui (moins de 10%), cette proposition vise à fixer un cap à 2050 sur le partage de machines agricoles. Cet objectif positionné au niveau de la planification écologique, pourra dès lors articuler l’ensemble des politiques publiques en lien avec les agroéquipements (politiques de soutien à l’investissement, politiques fiscales, politiques économiques). Elle devra aussi trouver
sa déclinaison régionale dans la mesure où les Régions ont la compétence sur les

2 – Renforcer les outils de pilotage des politiques publiques sur le volet agroéquipements

Etendre les missions de l’Observatoire des prix et des marges au secteur amont, notamment sur le volet agroéquipements.
La question de la construction et du partage de la valeur pour les agrofournitures, notamment le machinisme, est constitutive de l’économie des exploitations agricoles. Cette question est aujourd’hui absente des débats, notamment sur les coûts de production. La flambée depuis ces trois dernières années des prix des agroéquipements, à hauteur de 30%, ne s’explique pas seulement par l’inflation du coût des matières premières.
La transparence et l’action publique étant liées, nous proposons dès lors que l’observatoire des prix et des marges puisse également intégrer des éléments sur l’amont et les agroéquipements. Cette proposition est une reprise d’une proposition de loi formulée à l’Assemblée Nationale lors de la législature précédente.

Créer une mission parlementaire sur le fonctionnement du marché des agroéquipements et analyser les évolutions possibles à apporter pour rééquilibrer les relations entre les acheteurs et les fournisseurs en étudiant notamment les avantages et les inconvénients du contrat d’exclusivité qui lie constructeur et concessionnaire.
En lien avec une recommandation du CGAAER dans son rapport sur les charges de mécanisation, le marché des agroéquipements est marqué par une très forte concentration de grands acteurs. Malgré des initiatives collectives telles que la centrale d’achat Camacuma, les agriculteurs apparaissent souvent en position difficile pour mener leurs négociations commerciales. Cette proposition a vocation à élaborer un rapport parlementaire sur le fonctionnement de ce marché, permettantd’auditionner l’ensemble des acteurs concernés et de dresser des pistes législatives.

Élaborer la feuille de route de la mécanisation agricole avec l’ambition de mettre en cohérence les différentes politiques de l’Etat.
La création d’une feuille de route sur la mécanisation agricole, est issue d’une recommandation du CGAAER, elle a pour objectif de rassembler les différents ministères sur une ambition commune (économie, numérique, éducation, développement durable, agriculture, travail) de l’agroéquipement. Il s’agit aussi de dessiner l’architecture de la stratégie nationale de l’agroéquipement avec l’apport des Régions et en proximité du comité de filière. L’objectif est de mettre en cohérence les différentes politiques publiques en lien avec une vision stratégique concernant : la réglementation, l’emploi, la recherche et l’innovation, les aides aux investissements, l’articulation entre l’Etat et les Régions.

3 – Créer un dispositif fiscal qui incite les agricultrices et agriculteurs à mutualiser les investissements

L’exonération fiscale des plus values de cession de matériels agricoles représentent plus de 1,3 milliards d’euros ciblant uniquement les achats individuels de machines agricoles. La fiscalité n’encourage pas aujourd’hui les pratiques de mutualisation de machines agricoles en privilégiant des logiques d’achats individuels. Nous proposons dès lors de créer un crédit d’impôt mécanisation collective permettant de commencer à réorienter une partie de cette fiscalité vers le partage de matériels.

Ce crédit d’impôt serait imputable sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés et remboursable pour le solde non imputé. La mise en place de cette mesure aurait plusieurs effets. Elle baisserait le coût des charges de mécanisation des matériels agricoles. Elle inciterait à une utilisation plus responsable des matériels agricoles, ce qui répond aux enjeux de transition énergétique. L’impact financier qu’aurait ce nouveau crédit d’impôt a été défini pour correspondre au coût qu’aurait l’exonération de plus-value si les machines agricoles détenues par les coopératives étaient détenues directement, sans mutualisation, par les exploitants agricoles. Il a été évalué à 17 millions d’euros par an. Dans ce cadre, le crédit d’impôt mécanisation agricole mutualisée aurait les caractéristiques suivantes :
– Il serait de 7,5 % ;
– Il serait calculé sur les factures des Cuma à leurs coopérateurs au titre des charges de mécanisation collective ;
– Il ne s’appliquerait que si le crédit d’impôt excède 500 € ;
– Sauf pour les agriculteurs installés depuis moins de trois ans, il serait plafonné à 3 000 € par an ;
– Pour éviter l’effet d’aubaine, il impliquerait que l’exploitant agricole membre de la Cuma s’engage à continuer à poursuivre son activité pendant au moins trois ans. La dépense fiscale liée à ce crédit d’impôt mécanisation collective est donc évaluée à 17 millions d’euros par an et pourrait être financée par la réorientation d’une partie de la fiscalité relative aux exonérations des plus values de cession de matériel agricole.
Ce crédit d’impôt ne doit toutefois être vu que comme une première pierre pour retravailler au fond cette fiscalité des investissements afin de la mettre en cohérence avec les enjeux de compétitivité et de transition écologique des. exploitations agricoles.

4 – Développer le conseil indépendant et l’accompagnement stratégique pour faciliter et objectiver la prise de décision des agricultrices et agriculteurs en s’appuyant sur une méthode et une boîte à outils à construire

Le développement d’un conseil indépendant sur le volet machine, constitue une opportunité pour traiter différents aspects de l’exploitation agricole (économie, travail, pratiques agroécologiques etc.). Pour cela, il doit se construire comme un conseil stratégique. Pour reprendre l’analyse du CGAAER, “le conseil stratégique opère à l’échelle de l’organisation, à l’échelle de l’exploitation, de groupes ou d’entreprises pour l’agriculture. Il vise à clarifier les objectifs et à intégrer divers éléments dans une approche globale destinée à soutenir les décisions du responsable. Mais cette approche est minoritaire en agriculture, le conseil est plus souvent segmenté, thématique et repose sur le principe : un problème-une solution. La posture du conseil en agroéquipement doit d’abord répondre à une demande précise concernant un besoin d’équipements en matériel. Le diagnostic de la situation, les objectifs technico-économiques à atteindre, les modes d’organisation sont les fondamentaux d’un conseil en agroéquipement. Mais ce raisonnement doit s’accompagner d’une analyse plus large concernant les dimensions financières et comptables, l’organisation générale de l’exploitation avec ses forces et ses faiblesses.
De cette façon, le conseil en agroéquipement pourrait s’inscrire avec ses méthodes, ses outils, ses références dans un module emboitable dans un conseil stratégique global”. Il pourrait notamment intégrer la dimension post-investissement en particulier sur les agro équipements innovants incluant : un diagnostic après une première phase d’utilisation, un conseil sur l’adéquation entre la pratique ciblée et l’usage de la technologie, une formation aux facteurs de réussite (par ex.agronomiques) de l’agroéquipement innovant mobilisé par la pratique ciblée. Cette proposition vise à lancer un chantier de construction de ce conseil stratégique associant les différentes parties prenantes (Chambres, Réseau Cuma etc.).

5 – Positionner le diagnostic mécanisation dans la phase d’installation des nouvelles et nouveaux agriculteurs

Le poste mécanisation grève les modèles économiques des nouveaux installés, sans qu’il existe aujourd’hui d’appui sur ce volet, dans le cadre du parcours à l’installation, permettant réflexion stratégique et optimisation. Pour améliorer cette maîtrise du coût de la mécanisation, nous proposons que soit intégré, dans les diagnostics du parcours à l’installation, un volet mécanisation. Il s’agit dès lors de l’intégrer dans la conception du modèle économique du futur installé.

6 – Soutenir le reconditionnement de matériel agricole afin de donner une seconde vie aux équipements

Il s’agit de revoir les modes de consommation des agroéquipements et soutenir davantage l’économie circulaire en ce domaine. Plusieurs constructeurs de machines ont mis en place des processus industriels de reconditionnement. Ils permettent de remettre à neuf des agroéquipements, tout en créant des emplois et en réduisant les déchets. Nous proposons que les matériels reconditionnés et rééquipés, qui se voient donc donner une seconde vie avec une réelle garantie (identique ou supérieure à son état d’origine), puissent être éligibles aux aides aux investissements en agriculture. Cela concerne les aides aux investissements issus des guichets France Agrimer, mais également les aides aux investissements on farm déployés par les Régions dans le cadre de la PAC.

7 – Mettre en œuvre une conversion énergétique adéquate du parc machines

Afin que le poste agroéquipement contribue à la décarbonation, l’électrification ou le passage au bio GNV doit être réfléchis de manière stratégique pour être en phase avec les besoins des agricultrices et agriculteurs. Le réseau Cuma considère qu’il faudrait en priorité électrifier les agroéquipements pour les activités sur l’exploitation, notamment en cours de ferme, et dans un second temps, électrifier les agroéquipements et tracteurs d’une puissance inférieur à 160 CV réservés à des activités moins énergivores. Sur le parc matériels des Cuma, cela représente environ 30 % des agroéquipements. Il serait également possible de cibler la substitution en bioGNV pour les agroéquipements réalisant des travaux nécessitant des retours fréquents sur une exploitation ou un point de stockage. La FNCuma estime qu’avec cette électrification, l’émission des gaz à effet de serre (GES) pourrait être divisée par 4 37, l’impact serait plus grand sur l’ensemble du parc matériel. En sus d’un encouragement des agro équipementiers pour développer ces solutions alternatives comme cela a pu être le cas avec l’automobile, pour accompagner cette conversion d’une partie du parc machine, nous proposons un plan de soutien pour la création de points de ravitaillement collectifs de proximité :
– création de stations de recharges électriques dans les Cuma qui maillent l’ensemble du territoire,
– création de solutions de stockage nomade de gaz ou de compressions de gaz.

Ces points de ravitaillement électrique pourraient aussi être des points de ravitaillement de proximité pour les habitants des territoires ruraux.